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Mission "Quiet Sea" dans l’espace PELAGOS - Une mission exceptionnelle d’écoute du milieu marin pendant le confinement

Monaco

Suite aux mesures de confinement destinées à lutter contre l'épidémie du coronavirus, le monde a été comme figé. Cette situation exceptionnelle a eu pour conséquence un ralentissement sans précédent des activités maritimes en Méditerranée qui en temps normal supporte l’un des trafics les plus denses au monde : la pêche, le transport de passagers, la croisière, la plaisance ont été fortement réduits voire interdits, les ports ont réduit leurs activités ou ont été fermés, et les routes commerciales ont connu une baisse du trafic.

Afin de saisir cette occasion historique de pouvoir caractériser le milieu marin dans un état de faible pollution acoustique, Sphyrna Odyssey a réalisé, entre le 23 avril et le 10 mai 2020, la mission Quiet Sea. Cette nouvelle mission, lancée en un temps record, a bénéficié du soutien exceptionnel de la Fondation Prince Albert II de Monaco, illustrant en cela son engagement permanent, et toujours ouvert sur l’innovation, et l’amélioration des connaissances de l’océan afin d’en assurer une meilleure préservation.

Placée sous la direction scientifique du Pr Hervé Glotin (CNRS LIS DYNI, université de Toulon), cette mission exceptionnelle a eu pour objectif de mesurer la densité et le comportement de plusieurs espèces de cétacés (Cachalot Pm, Tursiops t., Ziphius c., dauphin Bleu-blanc, dauphin Risso), pendant la période de confinement, dans le sanctuaire PELAGOS en Méditerranée, à partir des deux navires laboratoires autonomes Sphyrna (lire ci-dessous).

Premières constatations 

Au terme de 17 jours d’enregistrements dans un « environnement acoustique » qui nous a fait revenir à une époque où les fonds marins n’étaient pas encore pollués par une activité économique intense et multiformes, nous pouvons faire les premières constatations suivantes :

- La pollution sonore due à l’activité humaine a poussé les animaux à fuir les zones littorales : le contexte historique du confinement nous a en effet permis de constater leur retour dans des zones habituellement perturbées par un fort trafic maritime :

  • Dès le premier jour de la mission, deux groupes de grands dauphins (Tursiops truncatus), composés de 12 à 15 individus ont pu être observés dans le nord de Port-Cros. Les animaux, apaisés, ont évolué pendant près de 30 minutes autour des navires de la mission. Vidéo ici : https://www.youtube.com/watch?v=vFkEtV55Zjg
  • Dans les calanques de Marseille, l’arrêt de toute activité maritime a permis aux animaux de recoloniser cet espace riche en ressources. Dans cet environnement particulier, la pollution sonore est habituellement amplifiée : le bruit des moteurs rebondit sur les falaises de calcaire rendant la zone particulièrement bruyante pour les animaux (comme un écho dans une cathédrale).

Au retour des activités anthropiques, les animaux seront de nouveau chassés de ces zones propices à leur développement et retrouveront des zones limitées de calme relatif.

- La pollution sonore perturbe la communication des animaux : le contexte historique du confinement nous a permis de constater l’abondance de vie et de communication dans des zones habituellement saturées de bruits anthropiques comme la baie des anges à Nice où nous avons pu enregistrer jusqu’aux signaux des crevettes. Les poissons communiquent beaucoup, soit en faisant claquer leur mâchoire et leurs dents, soit en frappant leurs nageoires pectorales, soit avec leur vessie natatoire. La pollution sonore rend habituellement ces sons difficilement perceptibles, même avec des équipements de haute technologie, confirmant en cela son impact sur la communication des animaux. Vidéo ici : https://www.youtube.com/watch?v=FFqt6JQNoBs&t=1s

- La pollution sonore perturbe la chasse, le lien social et la reproduction des animaux : le contexte historique du confinement nous a permis d’enregistrer durant de longues heures des cachalots, des globicéphales et des rorquals, une espèce de cétacé particulièrement difficile à écouter car émettant des sons très basse fréquence couverts par le bruit du trafic maritime, et de ce fait encore très méconnue. Ces enregistrements exceptionnels vont nous permettre de mieux comprendre les interactions entre des groupes qui ont pu profiter du calme ambiant pour communiquer à plus grande distance, jusqu’à deux fois plus qu’en temps normal, favorisant, outre la chasse par le repérage des proies, le lien social et la reproduction.

- La réduction du trafic maritime réduit corrélativement la pollution : Des mesures biochimiques ont été réalisées pour comparer l’état de la mer avant et pendant le confinement, constatant une réduction de la pollution (en hydrocarbure et matière organique) notamment à proximité des lieux touristiques. Un pré-bilan fait état, entre Cassis et Monaco, de 50% de réduction de la pollution en hydrocarbure dissous.

 

Des objectifs multiples

Les nombreuses données collectées pendant la mission Quiet Sea vont être analysées par des algorithmes d’intelligence artificielle capable d’isoler et de cataloguer chaque son enregistré. Ce travail mené par le Professeur Hervé Glotin et son équipe (CNRS / Université de Toulon) a pour objectifs :

- De définir un état zéro de l’environnement acoustique du milieu marin représentant les conditions normales de la vie marine avant l’ère industrielle. Ceci permettra, demain, de mieux gérer les espaces marins en adaptant les activités humaines au fonctionnement de ces écosystèmes complexes.

- D’identifier la santé des sites en analysant les niches acoustiques (gammes de fréquences) finement enregistrées dans le silence retrouvé de cette période de confinement.

- De restituer en 3D les trajectoires de cétacés grands plongeurs (cachalot, baleine de cuvier, globicéphale, tursiops) qui ont pu être suivis pendant plusieurs jours d’affilée dans leur visite des abysses, mais aussi de chasseurs évoluant plus en surface comme le rorqual.

- D’analyser et corréler les prélèvements d’ADN environnemental effectués conjointement avec les enregistrements sonores pour proposer de nouveaux protocoles de suivi de la faune.

- De quantifier les facteurs anthropiques (pollutions) pour mieux comprendre l’exploration et l’évolution des cétacés dans leur environnement et l’impact des rayonnements acoustiques des navires (caractérisation de leur pollution acoustique).

- Enfin, de mesurer la pollution et la qualité chimique du milieu parcouru (Ph, température, salinité, Phycoérithryne, O2 dissous, Hydrocarbure dissous)

 

Des navires autonomes pour écouter les cétacés

La particularité des missions Sphyrna-Odyssey, opérées en mer méditerranée depuis 2018, est l’utilisation de 2 navires autonomes de surface appelé SphyrnaALV (pour Autonomous Laboratory Vessel) et d’un navire-base accueillant les équipes scientifiques. Dotés d’une autonomie océanique, les deux navires autonomes - le SphyrnaALV 55 d’une longueur de 17 mètres et le SphyrnaALV 70 d’une longueur de 22 mètres - sont actuellement les plus grands navires civils de ce type au monde.

Conçus et développés par la start-up Sea Proven, dirigée par Fabien de Varenne et Antoine Thébaud, à Laval en Mayenne, ils sont propulsés par un moteur électrique alimenté par les énergies solaire, éolienne et hydrolienne.

Dotés d’une grande stabilité et d’une grande capacité d’emport de matériels (plus d’une tonne), ils sont chacun équipés d’hydrophones très sensibles placés sous leur coque pour l’écoute des cétacés, en dérive ou à très faible vitesse. Etant très silencieux, ils ont la particularité de ne pas perturber les mesures acoustiques réalisées pendant la mission.

Ils sont également équipés de nombreux autres capteurs destinés à la collecte d’un champ très complet de données permettant de mieux comprendre l’impact des activités humaines sur les océans et sur la planète (acidifications des océans, mesures de polluants diverses, paramètres bio-chimiques, températures, …).

A terme, l’objectif de Sea Proven est de déployer plusieurs centaines de navires de ce type pour pouvoir collecter des données océaniques en grande quantité sur tous les océans du monde.

 

Des animaux respectés

Les hydrophones placés sous les SphyrnaALV permettent d’écouter tout ce qui évolue sous l’eau jusqu’à 2 000 mètres de profondeur et dans un rayon de 6 kilomètres. Ils permettent, ainsi, aux scientifiques d’étudier avec une très grande précision les animaux marins sans avoir ni à les approcher, ni à les déranger, révolutionnant tout simplement ce type de missions scientifiques.