
L’économie de l’Océan, évaluée à 2 500 milliards de dollars, se trouve à un carrefour : l'heure est venue d'investir
Monaco
Article
Alors que l’économie bleue
représente déjà 2 500 milliards de dollars par an, Olivier Wenden,
vice-président et CEO de la Fondation Prince Albert II de Monaco, appelle dans
une tribune publiée dans Fortune le 14 octobre à un sursaut collectif :
investir massivement pour faire de l’Océan le moteur durable de la prospérité
mondiale.
Par Olivier
Wenden
Évaluée à
2 500 milliards de dollars par an, l’économie bleue se trouve aujourd’hui
à un carrefour : soit nous continuons comme avant – à un coût écologique,
social et financier astronomique – soit nous finançons un déploiement à grande
échelle pour que l’Océan reste notre plus puissant allié en matière de climat, de
biodiversité et de prospérité.
Il y a des raisons d’espérer. Passant le seuil des 60 ratifications nécessaires, le Traité sur la haute mer entrera en vigueur en janvier 2026 – une avancée majeure pour le droit international et la biodiversité marine, et la preuve que le multilatéralisme peut encore agir. La promesse mondiale de protéger d’ici 2030 30 % des terres et des mers, l’interdiction à l’OMC des subventions à la pêche préjudiciable, les nouvelles mesures de l’OMI pour réduire les émissions du transport maritime, et les négociations en vue d’un traité mondial sur le plastique sont autant de signes que les gouvernements, de plus en plus, voient l’Océan non comme une frontière sans fin mais comme un bien commun qui appelle une gestion raisonnée.
Mais l’action publique ne suffira pas. Pour atteindre les niveaux visés, il faut innover bien plus encore. Et accompagner nos engagements de ressources à la hauteur.
Partout dans le monde, une vague d’entrepreneurs visionnaires pose les fondements d’une nouvelle économie bleue : emballages recyclables et biodégradables, systèmes avancés de gestion des déchets, aquaculture à faible impact, gestion communautaire des pêches, tourisme régénératif, technologies propres pour le transport maritime et le yachting, infrastructures côtières écoconçues. Ce qui était une niche remodèle aujourd’hui des chaînes de valeur entières et redéfinit le fonctionnement même des secteurs industriels.
De nouvelles approches de financement apparaissent pour concrétiser ces solutions. Des obligations bleues et des dispositifs mixtes renforcent les capitaux destinés à la conservation de l’Océan – comme nous l’avons fait avec la Fondation Paul G. Allen en lançant le Fonds mondial pour les récifs coraliens. Et on voit émerger un écosystème croissant de fonds dédiés à l’économie bleue, qui offre aux investisseurs des opportunités de soutenir des entreprises prometteuses tout en progressant sur les impacts mesurables.
À la Fondation Prince Albert II de Monaco, nous croyons au leadership par l’exemple. C’est pourquoi, avec Monaco Asset Management, nous avons créé le ReOcean Fund, un fonds d'investissement de 100 millions d’euros destiné à aider les entreprises qui contribuent à une économie bleue durable à passer à l’échelle supérieure. Nous avons déjà sécurisé 73 millions de dollars d’engagements, dont celui de la Fondation Minderoo annoncé par Andrew Forrest AO, philanthrope australien, à la bourse Nasdaq pendant la Climate Week à New York. Notre objectif : investir dans 15 à 20 entreprises dans cinq domaines prioritaires – solutions à la pollution plastique, alimentation bleue durable, transport maritime vert, données océaniques, et protection et restauration des écosystèmes marins.
Sur le terrain, cette priorisation a déjà des effets visibles : NatureMetrics assure avec l’IA un suivi de la biodiversité pour fournir des données décisionnelles sur les risques et la résilience ; à New York, l’infrastructure côtière vivante d’ECOncrete, qui s’inscrit dans le projet Living Breakwaters (114 millions de dollars), a réduit les coûts liés à l'atténuation d'environ 80% – soit près de 14 millions de dollars d’économie, preuve que l’écoconception peut contribuer à réduire la facture. Ce ne sont pas là des actes philanthropiques. Ce sont des solutions évolutives propices à l’investissement, qui associent protection de l’environnement et valeur économique.
Que faire ensuite ?
Premièrement, considérer l’Océan comme un marché de placement. L’Océan régule notre climat, favorise les échanges mondiaux, et nourrit les communautés. Les investissements qui financent la restauration des écosystèmes, le transport maritime vert et la construction de systèmes d’alimentation bleue résilients ne sont pas des investissements « sympas » ; ils jouent un rôle fondamental dans la croissance économique.
Deuxièmement, étendre les financements mixtes en suivant un cap clair. Pouvoirs publics et banques de développement devraient collaborer avec les organisations philanthropiques et les fonds à mission pour réduire les risques de l’innovation et en accélérer le déploiement, tout en rattachant les projets à des objectifs sociaux et environnementaux mesurables.
Troisièmement, normaliser les cadres d’impact et les données décisionnelles. Investisseurs et organismes de réglementation devraient adopter des systèmes de mesure comparables et transparents, pour que les capitaux récompensent la réalisation d’impacts réels, et non l’écoblanchiment.
Quatrièmement, transformer les nouvelles innovations en des catégories d’actifs établis. Nous avons besoin de portefeuilles de solutions (plastique, aliments bleus, transport maritime, restauration, données) combinables à grande échelle, pour créer des emplois et renforcer la résilience de l'Océan – tout en les restaurant.
Il ne s’agit pas de choisir entre protéger l’Océan et booster l’économie. Les deux sont indissociables ; et il est urgent d’en prendre conscience. Pour les investisseurs, les responsables politiques et les leaders économiques, l’heure est venue de rejoindre cette dynamique, d’innover, et de financer la transition bleue.
Nous ne
pouvons pas nous permettre une nouvelle décennie de déclarations sans
mobilisation des ressources nécessaires. L’Océan n’attend pas. Si nous
réussissons, nous ferons bien plus que sauvegarder l’Océan. Nous prouverons qu’investir
en harmonie avec la nature est le pari le plus intelligent du XXIe siècle.