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Thon rouge de l'Atlantique : Les efforts de lutte contre la surpêche ont porté leurs fruits mais il reste des défis majeurs à relever

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Plus de deux décennies après la conception d'un plan de reconstitution visant à sauver le thon rouge de l'Atlantique d'une surpêche massive dans l'Atlantique Est et la Méditerranée, l'espèce montre des signes prometteurs de rétablissement. Cependant, avec une demande toujours croissante alimentée par le marché des sushis, une pêche illégale potentiellement importante et des pratiques d'élevage non durables, la bataille est loin d'être gagnée. Quelles sont les prochaines étapes pour protéger cette espèce emblématique ? Et quelles sont les recommandations actuelles concernant la consommation de thon rouge ?

 

Avançant dans la mer telle une torpille, le thon rouge de l'Atlantique (Thunnus thynnus) est parfois appelé la "Ferrari des mers", capable d'atteindre jusqu'à 70 km/h. Cette espèce majestueuse, qui peut dépasser les 3 m de long et peser jusqu'à 725 kg, joue un rôle de régulateur essentiel dans l'océan en tant que prédateur supérieur. Il existe deux populations de thon rouge de l'Atlantique : la population de l’Ouest, qui se reproduit dans le golfe du Mexique, et la population de l’Est, qui se reproduit dans la mer Méditerranée.

Sous l'effet de la montée en flèche de la demande de sushis et de sashimis, principalement sur le marché japonais, le stock de thon rouge de l'Atlantique Est et de la Méditerranée a été poussé au bord de l'effondrement en une dizaine d'années seulement. En 1998, la Commission internationale pour la conservation des thonidés de l'Atlantique (CICTA) a adopté les premières mesures pour tenter de remédier à la situation en fixant des quotas de pêche et une taille minimale de capture. Malgré cela, le stock a continué à baisser au début des années 2000, principalement en raison d'une application insuffisante de la règlementation, et de captures supérieures aux niveaux recommandés par les scientifiques. Le déclin a été estimé à 80% entre 1970 et 2010.

S.A.S. le Prince Albert II de Monaco a très tôt reconnu la gravité de la situation et a montré l'exemple. En 2008, grâce à un partenariat sans précédent entre restaurateurs et détaillants monégasques un moratoire sur la consommation du thon rouge a été instauré. En 2009, Monaco a proposé d'inclure l'espèce dans la liste des espèces protégées par la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction (CITES), ce qui aurait interdit son commerce international. La proposition n'a pas été adoptée en raison d'un fort lobbying de la part de certains pays. Elle a cependant permis de sensibiliser le monde entier à la question et a contribué à l'introduction, la même année, d'un plan de reconstitution fondé sur des données scientifiques, d'une réduction drastique des quotas et de contrôles stricts pour garantir l'application de la réglementation.

À partir de 2008, la Fondation Prince Albert II de Monaco a soutenu les efforts du WWF pour étudier et protéger le thon rouge en Méditerranée, par le biais d'études scientifiques, d'actions de plaidoyer et de sensibilisation. Dans un projet récent, grâce à un partenariat innovant avec des pêcheurs récréatifs, le WWF a marqué plus de 100 thons rouges de l'Atlantique dans le cadre du programme scientifique de la CICTA. Le marquage de thons rouges permet aux chercheurs de mieux comprendre leur comportement et les schémas de migration, et fournit des données cruciales pour estimer la taille et l'état du stock - des données qui, en définitive, permettent à la CICTA d'établir des quotas et d'autres mesures de gestion. Le WWF a également joué un rôle important de plaidoyer en tant qu'observateur auprès de la CICTA, soulignant l'importance des décisions politiques fondées sur la science et alertant sur la pêche illégale, non réglementée et non déclarée (INN) en Méditerranée.

Il semble que les efforts déployés pour protéger l'espèce aient enfin porté leurs fruits. La situation s'est considérablement améliorée avec une biomasse qui a augmenté de 400 % par rapport à 2009 (WWF), ce qui est supérieur aux niveaux historiques. Le stock n'est plus considéré comme surpêché par la CICTA. En septembre 2021, l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) a fait passer le thon rouge de l'Atlantique de la catégorie "en danger" à la catégorie "préoccupation mineure" sur sa liste rouge des espèces menacées.

Le WWF qualifie les efforts déployés pour protéger le thon rouge en Méditerranée de l'une des plus grandes victoires de tous les temps en matière de conservation, mais reste prudent quant à l'avenir. En plus d’une pêche illicite potentiellement importante, l’un des problèmes majeurs reste la pratique non durable en Méditerranée de l'engraissement du thon sauvage pour augmenter sa teneur en graisse afin de répondre à la demande du marché, essentiellement japonais. Il faut 15 à 20 kg de sardines pour produire 1 kg de thon.

Alessandro Buzzi, responsable régional du thon rouge au sein de l'initiative marine méditerranéenne du WWF, explique : " La situation s'est considérablement améliorée, mais il ne faut pas baisser la garde. Les niveaux potentiellement élevés de pêche illégale en Méditerranée, ainsi que la pratique non durable de l'engraissement du thon rouge dans les fermes d'élevage, suscitent toujours de graves inquiétudes quant à la durabilité de la consommation de thon rouge". 

Le WWF recommande aux consommateurs de s'informer sur l'origine du poisson, en utilisant les outils existants pour assurer la transparence. Les consommateurs sont encouragés à demander des informations quant à l'origine et la traçabilité du thon rouge - information que les restaurateurs et les poissonniers devraient toujours être en mesure de fournir dans le cadre de la "Documentation électronique des captures de thon rouge" de la CICTA, délivrée pour toute capture légale de thon rouge de l'Atlantique.

Le WWF recommande également d'éviter la consommation de thon rouge engraissé, compte tenu des impacts négatifs de cette pratique sur les écosystèmes marins. Le WWF travaille activement avec les détaillants et les pêcheries pour promouvoir des alternatives à l'engraissement et développer en Méditerranée un marché pour le thon rouge sauvage.

Qu'en est-il des pêcheries écolabellisées ? Les deux premières pêcheries de thon rouge de l'Atlantique ont été certifiées par le Marine Stewardship Council (MSC) l'année dernière - une décision contestée par le WWF.

"Le WWF n'est actuellement pas en mesure de recommander du thon rouge de l'Atlantique certifié MSC. Nous considérons la certification de toute pêcherie de thon rouge de l'Atlantique prématurée. La certification a été approuvée, mais avec une liste de conditions et un plan d'action que les pêcheries devront mettre en œuvre et revoir dans les cinq prochaines années, ce qui montre qu'à ce jour, la pêcherie n'est pas prête pour un label de durabilité. Pour le WWF, la certification à ce stade est une incitation dangereuse pour le marché qui pourrait compromettre la reconstitution à long terme de l'espèce", déclare Alessandro Buzzi.

Mr Goodfish est un programme de sensibilisation initié par l’aquarium Nausicaa et coordonné par la Fondation Prince Albert II de Monaco en Méditerranée. Il fournit des recommandations pour une consommation durable des produits de la mer. Mr Goodfish inclut le thon rouge de l'Atlantique dans ses listes saisonnières d'espèces recommandées depuis 2019, reflétant l'amélioration de l'état du stock. Toutefois il recommande sa consommation uniquement si le poisson est pêché en dehors de sa période de reproduction et à une taille minimale de 120 cm pour assurer sa maturité sexuelle, augmentant ainsi les chances que le poisson puisse se reproduire au moins une fois avant d'être pêché.

Quelles sont les prochaines étapes pour assurer la protection du thon rouge de l'Atlantique ? Le WWF participe à la 27ème réunion ordinaire de la Commission de la CICTA cette semaine pour plaider en faveur de l'adoption d'amendements importants au plan de reconstitution actuel, notamment le renforcement des contrôles sur le commerce de poissons vivants et les activités d'élevage. Le WWF soutient aussi la feuille de route vers l'adoption des "règles de contrôle de l’exploitation", qui seront sur la table pour la réunion de la CICTA de l'année prochaine. Cet important outil de gestion garantira que l'établissement des futurs quotas, à partir de 2023, sera basé sur des modèles scientifiques et des procédures de gestion plutôt que sur un processus de négociation entre les parties contractantes de la CICTA. Pour le WWF, il s'agirait d'un pas en avant essentiel pour une gestion durable du stock de thon rouge de l'Atlantique.